Vous êtes ici : | b | Le développement de l'âme | Chapitre XII : Les anciens Mystères (1/3)

Le développement de l'âme

Alfred Percy Sinnett
© France-Spiritualités™






CHAPITRE XII :
LES ANCIENS MYSTÈRES (1/3)

J'ai déjà cherché à établir la distinction qui existe entre la donnée théosophique et l'enseignement religieux, et j'ai démontré pourquoi, tout en différant largement sous certains rapports, ces deux enseignements ne sont point.en réalité contradictoires

      En approfondissant davantage ce genre d'idées, nous sommes amenés à conclure que, jusqu'à une période historique assez récente, l'enseignement théosophique marchait de pair avec l'enseignement religieux ; l'un étant le complément, le couronnement de l'autre. Les enseignements désignés sous le nom « d'Initiation » dans l'ère des Mystères égyptiens et grecs, s'identifiaient de très près avec ce que nous appelons aujourd'hui la Théosophie. Cette conclusion se dégage presque avec certitude de l'étude des documents que nous possédons sur les anciens mystères, lorsqu'on les examine à la lumière de la doctrine théosophique. Il ne faudrait pas attacher une trop grande importance à l'idée, un peu facilement admise, que la Révélation chrétienne est venue se substituer à l'enseignement des mystères qui était suffisant à une époque où les peuples s'adonnaient généralement au polythéisme païen. Cet enseignement ne fut pas remplacé par la Révélation chrétienne, l'auteur de cette révélation en parle même constamment comme d'une instruction supérieure encore à celle qu'il donnait à la multitude.

      La doctrine du Christianisme moderne fut substituée à la donnée ésotérique, non par le Maître de cette doctrine, ou par ses disciples, mais par l'Eglise, lorsqu'elle devint une puissance organisée ayant des intérêts temporels à sauvegarder, et qu'elle s'arrogea un despotisme spirituel en prétendant monopoliser la science spirituelle.

      Ses prétentions s'accentuèrent de plus en plus dans les temps modernes en proportion inverse de la science spirituelle que possédait en réalité le clergé. Et lorsqu'on jette un regard en arrière sur la science spirituelle supérieure à laquelle prétendait, avec juste raison, le clergé des temps anciens, on ne peut se défendre d'une triste comparaison en reconnaissant que les prêtres des temps modernes ne se sont jamais distingués de leurs contemporains laïques par le savoir scientifique.

      L'Eglise primitive européenne, au contraire, resta toujours en arrière des progrès réalisés par l'intelligence ; et pour imposer le respect aux populations, la hiérarchie ecclésiastique a dû en appeler à une superstition grossière, ou à un pouvoir temporel tyrannique. Cependant, en remontant plus encore vers le passé, longtemps avant la suprématie d'une église ignorante et frivole, nous trouvons une époque où l'on attribuait évidemment au clergé une science approfondie des mystères de la Nature, et dépassant de beaucoup celle que possédaient en général les séculiers. Les prêtres de l'ancienne Egypte furent de véritables instructeurs spirituels, et ceux qui étudient les antiquités égyptiennes, à la lumière des récentes investigations de la science occulte, leur reconnaîtront certainement cette science spirituelle qui s'accompagne du pouvoir de dominer les forces de la Nature.

      Nous sommes quelque peu ignorants des « mystères » et des initiations de l'ancienne Egypte ; les recherches littéraires et archéologiques ne nous en ont pas appris grand'chose, et Sir Gardner Wilkinson avoue franchement que les seules sources où nous puissions retrouver quelque peu de leur caractère et de leur signification sont les renseignements un peu plus précis que nous possédons sur les mystères grecs d'Eleusis, qui certainement furent renouvelés des pratiques égyptiennes.

      Mais il est de toute évidence que les Initiations égyptiennes avaient un caractère des plus sérieux. Elles étaient gardées de toute intrusion profane avec un soin si jaloux, on ne les abordait qu'après de si terribles épreuves, que le monde séculier devait en conclure que les Hiérophantes de ce temps possédaient une science et un pouvoir véritablement supérieurs, et s'élevaient bien au-dessus du niveau ordinaire de la population. S'ils n'eussent été que les organisateurs d'un cérémonial pompeux, les élèves n'auraient pas assiégé leurs retraites, prêts à affronter toutes les épreuves si rigoureusement imposées, pour s'efforcer d'être admis dans le cercle enchanté de la lumière spirituelle. Les mystères d'Eleusis eux-mêmes, qui, selon toute apparence plausible, ne furent qu'une reproduction bien dégénérée de l'ancienne organisation égyptienne, donnaient lieu, d'après les détails qui nous en sont parvenus, à une interprétation philosophique très élevée ; Thomas Taylor (35), l'infatigable traducteur de tant de littérature platonicienne et néo-platonicienne, nous dit dans sa dissertation sur les mystères :

      « Ceux des ordres mineurs (36) sont l'interprétation occulte de cette sublime vérité, que l'âme plongée dans la matière réside parmi les morts, ici-bas comme dans l'après-mort. »

      Et, citant Plotin, il ajoute :

      « C'est pour cette raison que l'âme meurt par le vice autant qu'il lui est possible de mourir ; et mourir signifie, pour l'âme, descendre dans la matérialité et en absorber toutes les impuretés pendant son union avec le corps, puis, après avoir quitté celui-ci, rester plongée dans cette corruption jusqu'à ce qu'elle revienne à une condition supérieure, et élève son regard au-dessus de cette fange envahissante. »

      Traitant ensuite des grands mystères, il dit : « De même que les cérémonies des petits mystères symbolisaient les angoisses de l'âme asservie à son corps, de même celles des grands mystères, plus secrets encore, faisaient pressentir, par de splendides visions mystiques, la félicité goûtée par l'âme ici-bas et là-haut, lorsqu'elle s'est enfin purifiée des souillures de la nature matérielle et qu'elle s'élève sans cesse vers les réalités de la vision intellectuelle. »

      Le Dr Warburton, évêque de Gloucester vers le milieu du dernier siècle, est parfois cité comme un écrivain compétent dans les anciens mystères ; mais ses opinions sont trop entachées d'orthodoxie conventionnelle pour avoir une valeur réelle. Il cherche à démontrer que le but des anciens mystères était d'enseigner l'Unité de Dieu, contrastant ainsi avec le polythéisme de la théologie généralement professée avant l'ère chrétienne. Mais Thomas Taylor répudie hautement cette conception étroite. Après avoir exposé ces mêmes idées, il ajoute : « D'après ceci, le lecteur comprendra sans peine l'absurdité de la thèse du Dr Warburton nous disant que le grand secret des mystères consistait à exposer les erreurs du polythéisme et à enseigner la doctrine de l'unité ou l'existence d'une seule Divinité. Mais il n'est d'ailleurs pas surprenant que des hommes, n'ayant pas la moindre notion de la véritable nature des dieux, qui les considèrent comme de simples mortels déifiés, et qui mesurent les intelligences des anciens d'après la leur, en arrivent à forger un système aussi improbable et aussi absurde. »

      Pour montrer que ces initiations étaient bien plus qu'une simple réfutation théorique des erreurs populaires, Taylor cite ces deux passages. Le premier est d'Apulée, qui décrit ainsi sa propre expérience des mystères : « Ecoutez donc ; mais croyez, car je dis vrai. J'approchai des limites du trépas ; je foulai du pied le seuil de Proserpine, et j'en revins en passant par tous les éléments ; au milieu de la nuit je vis le soleil briller de son éblouissant éclat ; je m'approchai des dieux de l'enfer, des dieux du ciel ; je les vis face à face, je les adorai de près. Voilà tout ce que je puis dire (37). »

      Le second passage est de Platon. Il décrit dans Phèdre la félicité de l'âme vertueuse avant sa chute dans une superbe allusion aux visions des arcanes mystérieuses.

      « Il nous était donné de contempler la beauté toute rayonnante, quand, mêlés au chœur des bienheureux, nous marchions à la suite de Jupiter... nous jouissions alors du plus ravissant spectacle ; initiés à des mystères qu'il est permis d'appeler divins, nous les célébrious exempts de l'imperfection et des maux qui nous attendaient dans la suite ; nous étions admis à contempler ces essences parfaites, simples, pleines de calme et de béatitude et les visions rayonnaient au sein de la plus vive lumière, et nous étions nous-mêmes purs, libres encore de ce tombeau que nous appelons notre corps, et que nous traînons comme l'huître sa prison (38) ».

      Selon Taylor, les mystères de Bacchus avaient une signification plus restreinte que ceux d'Eleusis.

      « Il en est de même des mystères de Bacchus, et de ceux de Cérès qui, dans certains passages, traitent de la descente d'une intelligence partielle dans la matière, et des conditions où elle se trouve dans le logis obscur que lui fait le corps. Mais il semble y avoir une différence entre ces deux mystères. La fiction de Cérès et de Proserpine concerne la chute de l'âme intégrale, tandis que celle de Bacchus concerne la répartition et l'évolution de cette partie unique et suprême de notre nature que nous appelons « intelligence ». On retrouve dans ces deux fictions les traces d'une haute sagesse et d'une théologie abstraite fort ancienne, remarquable par sa perfection et par sa réalité. Les passages, déjà cités, d'Apulée et de Platon témoignent aussi que ces mystères s'associaient à l'exercice de ce qu'on nomme aujourd'hui les pouvoirs et facultés psychiques. Grâce à ces indices et aux découvertes récentes qui nous éclairent de plus en plus sur la nature et l'importance de ces facultés, la situation prend une tournure plus intelligible.



________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________
(35)  Eleusinian and Bacchic Mysteries, édition de New York, 3 vol.

(36)  Généralement appelés petits mystères.

(37)  Apulée, Métamorphoses, t. II, livre XI, p. 367. Bibliothèque franco-latine, Paris, C. L. Panckoucke, 1835.

(38)  Dialogues de Platon, édition Charpentier, 1862.
      Dialogues Socratiques, 2ème vol., pp. 339, 340.




Site et boutique déposés auprès de Copyrightfrance.com - Toute reproduction interdite
© 2000-2024  LB
Tous droits réservés - Reproduction intégrale ou partielle interdite

Taille des
caractères

Interlignes

Cambria


Mot de passe oublié
Créer un compte